Ami, entends-tu Anna?  

04/08/2000 à 03h12

Анна Марли (портрет)

Ami, entends-tu Anna?
Portrait

PEIGNE-GIULY Annick

«C'est toujours la Libération qu'avait fondé d'Astier de la Vigerie?» D'emblée, en pénétrant dans les locaux du journal, la vieille dame au chapeau bleu oblige à remettre les pendules à l'heure des années quarante. C'est à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu'Anna Marly quittait la France pour le Brésil. En juin dernier, elle retrouvait, cinquante ans après la bataille, quelques camarades laissés alors à Paris: Pierre de Bénouville, Pierre Messmer... Et un peu du tourbillon de la guerre puis de la Libération qui la virent chanter la Résistance et la victoire pour les soldats, les ouvriers, ou les diplomates. Qui connaît encore aujourd'hui ce nom d'Anna Marly qu'on appelait alors «Anna nationale» ou la «Troubadour de la Résistance»? Ce 18 juin 2000, elle entonnait une nouvelle fois dans l'Eglise de la Madeleine, le Chant des partisans. Son chant. C'est elle qui a écrit le Chant des Partisans, ce chant qu'on imaginait né sous la plume d'un grand gars moustachu?

Déjà quand elle débarque à Rio de Janeiro en cette année 47, elle a quelque difficulté à faire coïncider son image de belle fille aux cheveux flous avec celle d'une chantre des batailles européennes. En France, on n'a retenu que le nom des paroliers de la version française, Joseph Kessel et Maurice Druon. C'est pourtant elle qui avait composé en russe, l'original de cet hymne de la Résistance. Et la Complainte du Partisan qu'ont repris Joan Baez ou Léonard Cohen, et Paris est à nous, et Courage... Plus de trois cents chansons, chansons guerrières ou chansons douces (Une chanson à trois temps pour Edith Piaf ou Un bout d'chemin ensemble). La plupart écrites dans ces années où la jeune fille qu'elle est alors choisit de vouer ses talents à célébrer le maquis, les résistants et la lutte pour la liberté. Elle-même, qui prend son nom de «Marly» dans l'annuaire, a déjà trempé son caractère dans l'Histoire.

Quand elle débarque en France en 1921, Anna est une fillette de quatre ans. Née Betoulinsky en 1917 dans les beaux quartiers de Saint-Pétersbourg. Grecque par sa mère, russe par son père. Un petit aristocrate qui sera fusillé par les bolcheviks. La mère, Marie, s'enfuit avec ses deux filles et la nounou, et s'installe à Menton dans la colonie russe blanche. A 13 ans, on lui offre une guitare, à 16 ans, Anna danse dans les Ballets russes de Paris puis se retrouve étoile des Ballets Wronska qui vantaient ses «beautés sculpturales» aux pieds nus, vêtues de voiles. Mais c'est la musique qu'elle aime. Et elle se produit dès 1935 avec sa guitare et un petit répertoire qu'elle s'est créé, au Shéhérazade, le cabaret parisien de la jeunesse dorée, puis au théâtre des Variétés de Bruxelles. A 22 ans, Anna rencontre le «prince charmant» comme elle dit, sous les traits d'un baron néerlandais qui, en l'épousant, lui fait pénétrer la gentry hollandaise.

Mais on est en 1939, et très vite c'est la guerre et l'exode qui les amène jusqu'à Lisbonne, puis Londres en 1941. «Mon mari était sensible aux compliments des femmes...» Les dés semblent jetés. La jeune épouse blessée deviendra une femme libre. Elle collectionne les aventures sentimentales, s'enrôle au Théâtre des Armées et chante au micro de la BBC. Tout à côté du studio des «Français parlent aux Français». Pour vivre, elle fait projectionniste de cinéma au Dominion Théâtre: «Je me sens dans le prolétariat jusqu'au cou et ça m'amuse.» Un soir, elle sait la ville de Smolensk attaquée par l'ennemi, les villages russes qui flambent. Un mot lui revient à l'esprit, ce mot de partisans. Alors d'un jet, jaillit un rythme, un poème mélancolique qu'elle chante en russe, s'accompagnant du seul bruit de ses doigts frappant les cordes de la guitare. C'est sa Marche des partisans, qui deviendra Guerilla Song pour les Anglais de la BBC, et le Chant des partisans pour les Français. «Voilà ce qu'il faut pour la France!», s'exclame Kessel en entendant pour la première fois ce chant écrit pour les partisans russes. De l'original, il écrira avec Maurice Druon une version française dont Anna dit qu'il ne reste que les corbeaux et la musique: «Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne?... » La Complainte du partisan, écrite dans la même période, en livre plus sur la sensibilité de la compositrice («J'ai changé cent fois de nom/j'ai perdu femme et enfant/mais j'ai tant d'amis...» , disent les paroles d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie) qui continue de mener sa vie tambour battant au beau milieu des tumultes de la guerre.

Elle écrit: «Plus indépendante que jamais, je me dédie à la lutte.» Et à l'amour des hommes qui se succèdent: Marc l'écrivain, Peter l'officier, Wouk'iuan le prince chinois, Don Quichotte, Tony le fringant, Nikita qu'elle épouse...

Mais elle est si mêlée à l'Histoire que la Libération bouleverse son destin. Ses chants l'ont poussée sur le devant de la scène et son minois est une icône de la liberté retrouvée. Son visage volontaire tranche sur les affiches tricolores. Comme une Anna Magnani, chantant au beau milieu de Rome ville ouverte. Le 17 juin 1945, elle est invitée à chanter devant le général de Gaulle au Palais de Chaillot. Sa mère et sa nounou russe sont au premier rang. Anna est revenue à Paris, engagée en vedette américaine de Fernandel. Les journaux se gaussent: «Qu'est-ce que c'est que cette fille qui chante sans micro, sans fards, en robe de ville?» Elle s'en moque. Au Portugal, l'émigrée vient chanter la liberté pour l'infant d'Espagne, pour Carol de Roumanie, pour Pierre II de Yougoslavie, pour le roi d'Italie. Mais elle raconte comment, à Londres, un soir, elle vint chanter Adieu Moscou dans les salons de l'ambassade soviétique. «Vraiment la danse et la musique peuvent sauver la Russie!», dit-elle en accordant sa guitare de Russe blanche à l'accordéon du diplomate stalinien. En France aussi, elle fera le bal de l'Union des femmes françaises ou de la CGT.

En 1946, Anna n'a encore que 30 ans. Il s'agit pour elle de se débarrasser d'un amour de guerre, de la tutelle de la mère, du poids de la Résistance, pour amorcer une autre vie. Elle finit par s'installer aux Etats- Unis. C'est là que l'a retrouvée son ami José Sourillan, dans un village au coeur du territoire mohican à quelques kilomètres de Cooperstown, la ville de Fenimore Cooper, l'auteur du Dernier des Mohicans. Dans la solitude verte des collines du Vermont, elle écrivait ses Mémoires (1), entre deux chansons, entre Albany et Syracuse. C'est ainsi qu'elle est revenue en France cet été, offrant à nouveau sa voix au souvenir du combat pour la liberté, la seule valeur à laquelle elle tienne encore. Elle y a découvert la version qu'a écrit Zebda de son Chant des partisans: «ça m'a fait un coup au coeur, dit-elle, cela n'a plus rien à voir avec ma marche, c'est trop dansant.» Aujourd'hui, Anna est repartie dans sa vieille maison de bois. Ecrire la deuxième partie de ses mémoires. Histoire de contredire un peu la Complainte: «Le vent souffle sur les tombes/La liberté reviendra/On nous oubliera/Nous rentrerons dans l'ombre...».

(1) Anna Marly, troubadour de la Résistance. Ed. Tallandier. Historia. 149 F.

ANNA MARLY EN HUIT DATES

30 octobre 1917 : naissance à Saint -Pétersbourg

1921 : C'est l'exil en France.

1934 : Recrutée par les Ballets russes de Paris.

1935 : Elle se produit dans les cabarets parisiens.

1939 : Anna épouse le baron Van Doorn et est admise à la Sacem.

1941 : A Londres elle chante au micro de la BBC.

1947 : Anna épouse Yuri Smiernov.

Juin 2000 : Elle chante le Chant des partisans à Paris pour un hommage à Jean Moulin.


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Анна Марли. 1940-е годы. Лондон
Анна Марли. 1940-е годы. Лондон


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